Né à Alep en 1949, Jean Boghossian vient d’une famille de joailliers, pour laquelle il a travaillé, tout en poursuivant des études de sociologie et d’économie. Alors que la guerre civile libanaise fait rage, il quitte le pays en 1975 pour aller s’installer en Belgique. Là, il y a de cela plus de trente ans, le futur artiste s’inscrit à l’Académie des Beaux-Arts de Boitsfort, à Bruxelles. En parallèle, il continue à diriger l’entreprise familiale puis crée, avec son père et son frère, la Fondation Boghossian à la villa Empain.
Jean Boghossian, artiste abstrait accompli ne se revendiquant d’aucun mouvement artistique, aime à travailler avec le feu. Il est l’un des rares artistes à utiliser l’expression du feu, des flammes et de la fumée pour s’exprimer. Son défi à travers la danse du feu n’est autre que celui de maîtriser le hasard : suivre le mouvement du feu, les dégradations qu’il provoque puis décider à un moment donné de stopper le processus, lorsque Boghossian estime que l’harmonie est atteinte. Une pratique originale, volontairement invasive et quelque peu violente, qu’il effectue au moyen d’instruments à feu variés comme les chalumeaux. Boghossian attaque par les flammes toutes sortes d’objets : du papier à la toile en passant par les livres et les plastiques. Artiste multidisciplinaire, il utilise un large panel de médias : l’huile, l’aquarelle, le fusain, l’acrylique… et sculpte dans des matériaux très divers, comme le bois, l’argile ou le marbre, qu’il traite aussi par les flammes.
Depuis dix ans, Boghossian ressent l’envie de s’investir davantage dans l’art à titre personnel. Il prend quelques distances avec l’entreprise familiale de joaillerie et la Fondation Boghossian, et s’adonne corps et âme à la création d’une œuvre picturale personnelle. Chaque jour, rendez-vous devant la toile blanche. Là, les techniques sont multiples (pliage, collage, arrachage…) pour qu’aboutisse sous ses yeux une œuvre réalisée à l’aveugle, dont il ne saisit le sens qu’à la toute fin, lorsqu’est dépliée sa toile.
Maître du feu par excellence, Boghossian a appris à dompter sa danse et celle de son corollaire, la fumée. Non sans mal, il suit à la trace le parcours de celle-ci, qui vient ici et là noircir quelques traits ou les dynamiser. À l’aide de pigments qu’il intègre à sa toile via des procédés pyrotechniques, l’artiste hors normes fait émerger la couleur : au gris de la fumée, viennent s’ajouter les rouges des braises, voire des bleus, des verts…
Le tableau ainsi créé est subjuguant, autant dans les textures que les couleurs, les fumerolles… le tout à la libre interprétation du spectateur. L’observateur averti peut difficilement manquer d’y voir Beyrouth dévastée par les conflits du siècle passé, ou encore les ravages causés par une explosion récente. D’autres fois, c’est un paysage qui surgit d’entre les pigments et la grisaille laissée par la fumée. Boghossian ne se laisse pas enfermer par ce qu’il y voit ; selon lui, ces images proviennent pour l’essentiel de son inconscient.
S’il n’est pas le seul artiste à s’exprimer via l’action du feu – il y a aussi Claudio Parmiggiani, Yves Klein… –, Boghossian y apporte sa propre touche ; avant la réalisation de son œuvre, il intervient en premier lieu sur le support lui-même. Manipulée, traitée, brûlée, pliée, etc., ces multiples traitements visent à définir la toile, son centre, ses limites, son équilibre… avant que ne naisse l’œuvre à proprement parler.
Pour admirer le travail remarquable de Boghossian et voyager le temps de quelques tableaux dans les méandres de son esprit, rendez-vous à l’exposition qui lui est consacrée (avenue Louise 262, Bruxelles jusqu’au 28 mars).